à la rencontre des premières nations du Canada
En septembre 2013, j'ai eu l'immense joie de me rendre au Canada, accompagnée d'Hélène Servais (aujourd'hui rédactrice de talent pour Atrium) et Mariam Alard (que l'on entend de plus en plus souvent sur La Première, rien que ça), pour réaliser un reportage vidéo sur les Premières Nations (ceux que l'on appelle souvent "Indiens", "Amérindiens" ou "Autochtones"). Ce reportage, nous l'avons préparé en Belgique pendant un an. Une année à lire tout ce que nous pouvions sur le sujet, et à déterminer l'angle de notre travail. Et bien que le résultat soit loin d'être parfait, j'en suis fière. Peut-être que c'est parce que j'ai personnellement rencontré chacun d'entre eux, mais des années après, je suis toujours émue aux larmes lorsque j'écoute le témoignage de Ginette, Nick, Ray et Clarence. Cette vidéo est le fruit d'un long travail, réalisé dans le cadre de mes études de journalisme. Ce fut l'une des plus belles expériences de ma vie, tant d'un point de vue humain que professionnel Nous ne savions rien de l'histoire des "Indiens" du Canada. J'ai honte d'avouer que le sujet ne m'évoquait rien de plus que quelques images d'hommes coiffés de plumes, montés sur des chevaux, ennemis jurés de Cow-Boys en chemise à carreaux et chapeau de cuir, (ou de trappeurs en toque de fourrure dans le contexte qui nous intéresse). C'est avec stupeur que j'ai découvert, au fil de mes lectures préalables au travail sur terrain, l'horreur de la colonisation occidentale du Canada et ses conséquences pour les populations locales. Et c'est avec émerveillement que j'ai appris à connaître les bases de leurs traditions, de leurs modes de vie ancestraux… et la réalité complexe qu'ignoraient royalement les colons en les regroupant sous le nom d'"Indiens". J'ai récemment entendu un américain parler des "Européens" comme si Français, Italiens et Allemands ne formaient qu'un seul et même peuple (encrouté dans ses traditions et peu porté sur l'hygiène, pour résumer les propos du brave garçon). Dieu que c'est énervant! On imagine donc aisément la frustration des autochtones devant cette appellation réductrice. Loin de former un peuple uni et homogène, les peuples présents sur le continent canadien appartenaient à des clans distincts, parfois rivaux, parfois amis, et aussi différents en culture, en traditions, en langues, que nous le sommes de nos voisins Hollandais, Espagnols ou Grecs. C'est avec cette prise de conscience et l'éradication du terme " Amérindiens" de mon vocabulaire au profit de "Premières Nations" (l'appellation plus sensée par laquelle les autochtones du Canada souhaitent être désignés) que mon engouement pour le sujet a vraiment pris naissance. Les Premières Nations ont une relation houleuse avec les médias. Pendant des années (et ce n'est pas encore tout à fait terminé) ces derniers ont véhiculé une image très négative des communautés autochtones. Il est vrai, comme nous le disons dans le reportage, qu'elles font face à de graves problèmes d'alcool, de drogue, de dépression et de suicide. Conséquences de la période coloniale. Mais le traitement univoque et peu nuancé des médias nationaux sur ces problèmes a largement contribué à renforcer les préjugés négatifs des canadiens à l'égard de leurs compatriotes. C'est pourquoi, débarquer dans une réserve la caméra à l'épaule et espérer obtenir des habitants qu'ils se laissent filmer et se livrent à nous, semblait relever de la plus pure utopie. Y parvenir dans un délais de trois semaines ? Absurde. Nous n'en avons pleinement pris conscience qu'au sixième jour de notre voyage. Nous n'étions pas encore parvenues à rencontrer un seul membre des Premières Nations et le stress commençait à monter. Quelques jours plus tôt, nous avions cependant échangé avec un couple de photographes qui s'étaient penchés sur les vêtements traditionnels (régalias) portés lors des danses ancestrales. Ils nous avaient confirmé la difficulté d'entrer en contact avec les populations des réserves. Nous étions sorties de cette rencontre avec un seul espoir : le Pow Wow qui aurait lieu ce weekend-là. Ce grand rassemblement autochtone nous offrait une chance de mettre un pied dans ces communautés. Au sixième jour, donc, nous nous rendions le cœur battant au Pow Wow d'Akwesasne. Nous aurions pu porter des pancartes "INTRUS" autour du cou, l'effet n'aurait pas été plus réussi qu'avec notre encombrante caméra et notre perche : le vide se créait partout où nous posions nos affaires, les regards se faisaient fuyants, méfiants… D'autant que, de plus en plus désespérées, nos tentatives d'abordage ressemblaient davantage à celles de pétitionnaires Green Peace devant la gare centrale qu'à celles de reporters aguerries. Au bout d'une journée de galère, nous n'avions obtenu que quelques extraits sonores, de nombreuses photos, et un numéro de téléphone d'un jeune danseur qui nous posera un lapin au rendez-vous convenu. Toutefois, nous venions de vivre une expérience incroyablement forte. Je ne m'attendais pas à être prise aux tripes par le son des drummers et leurs chants étranges. Nous avons même acheté le CD de A tribe called red, un groupe star chez les Premières Nations, que nous écoutons à fond sur le chemin du retour. Les jours suivants, nous rencontrons Jean-Jacques simard, spécialiste de la question autochtone, Serge Rock, coordinateur régional du Réseau Jeunesse des Premières Nations, Alanis Obomsawin, LA référence en matière de documentaires sur les Premières Nations (Kanehsatake, 270 ans de résistance), et Mélissa Mollen Dupuis, jeune militante innue et co-fondatrice du mouvement Idle No More au Québec. Des rencontres extrêmement riches et essentielles pour la construction de notre reportage. Mais ces spécialistes devaient nous servir à étayer nos propos et non constituer le noyau du documentaire. Nous étions déterminées à donner la parole aux autochtones, et à pas seulement aux membres diplômés et investis à fond dans la défense de leurs droits et de leurs cultures. La moitié de notre temps était écoulé, nous n'avions pas 36 solutions… Caméra et micro dans le coffre, nous avons pris la route de la réserve la plus proche de Montréal : Khanawaké. Nous sillonnons les rues en voiture, elles sont assez désertes hormis les quelques chiens errants. Nous décidons de prendre quelques plans des rues. Puis, dépitée, nous remballons la caméra et entrons boire un café dans un petit établissement. Nous en profitons pour demander à la serveuse si elle accepterait de répondre à nos questions, elle refuse. Mais l'homme accoudé au comptoir se redresse. Lui, il a des choses à dire. Il s'appelle Clarence Bova, il est Mohawk, il sera notre premier intervenant. Il nous donne rendez-vous chez lui, le lendemain. Nous sortons du café. Folles de joies, nous nous sentons pousser des ailes et lorsque nous repérons une petit bicoque arborant un grand attrape-rêve et une enseigne "the hawk's nest" (le nid du faucon), nous décidons de frapper. Nick Huard, longs cheveux noirs piquetés de gris, un tablier vissé autour du coup et un collier de griffes sur le poitrail, nous ouvre la porte. Nick est Micmac, il vient de Gaspésie et vit à Kahnawake depuis 20 ans. Il sera notre second intervenant. Ca y est, les portes de la communauté s'entrouvrent. Chez Nick, nous rencontrons Ginette Aubin venue lui rendre visite alors que nous tournions. Artiste peintre, elle signe ses oeuves Kakakos, la corneille en Malécite, surnom que lui donnait son grand-père issu de ce clan. La semaine qui suit est hyper chargée. Nous enchaînons les tournages chez l'un et chez l'autre. Nous avons l'impression qu'ils nous font un cadeau immense en acceptant de se livrer à nous et nous passons des moments chargés d'émotions. Je ne sais pas comment les remercier pour ce qu'ils nous apportent. Ginette nous offre même le dessin qu'elle réalise pour nous devant la caméra. Le weekend arrive et nous assistons à un deuxième Pow Wow à Mcgill. Cette fois, nous nous sentons plus à notre aise. Je n'ai plus l'impression d'être un imposteur. Il faut dire que nous arrivons accompagnées du directeur du Pow Wow, Ray Deer, dont nous avions obtenu le numéro grâce au couple de photographe rencontré plus tôt. Nous voulions absolument pouvoir suivre une famille, afin d'avoir un aperçu du vécu de générations différentes. La famille Deer nous accueille avec une extrême gentillesse, Hélène participera même à une dance au cours du Pow Wow! Aujourd'hui encore nous suivons leur évolution grâce à Facebook. Bright Cloud, le fils de Ray, est d'ailleurs papa depuis peu… Techniquement, le rendu du reportage n'est pas parfait. Nous ne sommes ni camerawomen ni monteuses. Mais je trouve que nous avons fait un bon travail journalistique, conforme à nos valeurs. Nous voulions informer et non envoyer de la poudre aux yeux. Dire l'horreur mais sans verser dans le drama juste bon à retenir l'audimat. Laisser les principaux intéressés s'exprimer sans censure, même si leurs paroles heurtaient parfois nos valeurs. Eviter le noir et blanc, les gentils et les méchants… et je crois qu'on a plutôt bien tenu le paris. Plus j'y pense, plus je me dis qu'il s'agit du travail le plus excitant que j'aie fait de ma vie… et du coup j'aimerais beaucoup remettre ça. C'est en partie pour ça que j'ai décidé d'investir dans le Sony XR100, capable de filmer en full HD. Tout au long de notre séjour, nous avons tenu un blog http://this-is-kanata.tumblr.com/ il date un peu et je constate que les articles ne sont même pas dans le bon ordre mais il offre plein de fragments d'interviews et d'infos qui n'apparaissent pas dans le reportage (nous aurions pu faire au moins cinq films avec un angle différent au vu des heures de vidéo que nous avions!) Pour conclure, je me dois de remercier encore une fois Nathaëlle et Catherine qui nous ont très gentiment accueillies chez elles et sans qui toute cette aventure n'aurait pas été la même!
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