Roadtrip au Portugal
Lisbonne. Je m'y coulerai, j'y reviendrai. Ces allers et retours seront des caresses, des oscillations : les matins du Portugal, le ciel bleu au-dessus des maisons, l'air du Tage et l'incertitude déchirante qui gouverne toute vie portuaire. Longtemps, nous avions gardé ce mot de passe sur nous et entre nous : Lisbonne. Si l'aventure tournait mal, si l'histoire devenait trop noire, la ville blanche serait notre point de chute. Olivier Frébourg, Souviens-toi de Lisbonne Je ne suis ni la première ni la dernière à être tombée amoureuse de Lisbonne. La cité Blanche est une ville à vivre. C'est lorsqu'on y dort, qu'on y mange, qu'on y travaille, qu'on y rit et qu'on y pleure que l'on se rend compte de la douceur qu'il y a à le faire là plutôt qu'ailleurs. Douce. Pour moi, c'est l'adjectif qui la qualifie le mieux. Elle brille le jour, habillée de ses carreaux blancs et lisses, bordée par des eaux scintillantes, mais elle brille doucement, sereinement. Elle bouillonne la nuit, dans les ruelles du Bairro alto, mais dans les petits bars où l'on caresse parfois la guitare, la fête est intime, délicieuse. Elle vit, tout le temps, elle créé, elle invente, elle bouleverse les codes, mais elle le fait sans bousculade, sans déchirements, sans angoisse. Les jours tristes elle se pare de brume, et sa grisaille est belle et nostalgique, un peu comme son Fado. Les lisboètes lui vont à merveille et me ravissent autant qu'elle. Fiers et heureux d'habiter ce joyau, intouchés par l'urgence des grandes villes. Humbles et polis, infiniment ouverts, et d'une gentillesse si profonde et simple qu'elle me surprend à chaque fois. J'ai vécu six mois à Lisbonne, en 2012. Depuis je garde en moi, comme un talisman contre les jours gris, la certitude qu'un jour j'y vivrai un peu plus longtemps. J'ai tellement de tendresse pour cet endroit et ses habitants qu'à chaque fois que j'y pense, mon ventre se tord. En attendant, j'ai mis à profit trois semaines de congé pour explorer d'autres lieux du Portugal. ROADTRIP J'ai décidé d'explorer le nord et la région centre du pays, du Peneda Gerés à Setùbal, en passant par Braga, Guimaraes, Amarante, Porto, la Serra da Estrela, Coïmbre, Ericeira, Sintra et j'en passe… Un voyage sous le signe de la liberté, à bord de la camionnette de mon amoureux, aménagée pour l'occasion. Nous avons traversé la France et l'Espagne presque sans escale, mis à part Saint Sébastien pour une balade sur la digue et de savoureux tapas. A la frontière portugaise, nous nous laissons glisser sur des routes vertigineuses, suspendues entre les petites montagnes qui façonnent le paysage. J'ai l'impression de voler. Nous arrivons aux portes de Bragança. A la mi-septembre, on croirait déjà l'hiver tombé. La ville est presque déserte. Nous nous attablons dans un café (vide) plongé dans l'obscurité. Tomettes et papier peint brunâtre. Entre deux oreilles de porc élastiques et une gorgée de Superbock, je tente de déchiffrer le journal qui trainait là. Nous révisons nos bases et savourons les mots à haute voix, la bouche pleine de "ouch" et de "ão" nasillards. C'est vraiment mort. Mais on est bien. Loin, très loin des destinations touristiques. Parque Nacional Peneda-Gerês. Nous zigzaguons sur la frontière nord suivant les méandres de petites routes à travers bois. D'une halte à l'autre, nous tendons l'oreille : de quel côté somme-nous? Espagnol ou portugais? Difficile à dire tant les idiomes locaux greffent l'accent des uns sur les mots des autres. Le décor est superbe, les bois semblent enchantés et les vues sont à couper le souffle. Mais il pleut. Et il fait très froid! C'est que les sommets culminent à 1.548m... nous avions l'intention de séjourner quelques temps dans le parc et de parcourir ses sentiers mais le climat est vraiment trop rude et nous ne sommes pas équipés pour des températures aussi basses. Après une brève mais jolie balade, nous laissons donc cascades enchanteresses et forêts séculaires derrière nous, avec un petit goût de trop peu... Effrayés par les températures, nous zappons quelques étapes nordiques (Ponte de Lima, Viana do Castelo...) pour nous réfugier un peu plus bas, en terrain connu. Nous avions visité Braga en octobre 2012, lors d'un weekend à Porto. Les arbres rougeoyants, les nappes à carreaux et les vendeurs de marrons chauds nous avaient laissé le souvenir d'une petite Ardenne du Sud. Le décors n'est pas encore à l'automne, cette fois, mais nous retrouvons avec plaisir cette jolie ville animée... et profitons non seulement d'un climat plus doux (avec quelques apparitions solaires), mais aussi d'un vrai lit et d'une douche! Les routes du Nord traversent des hameaux d'un autre temps: quelques maisons groupées autour de l'unique route, quatre murs, un toit de tuiles ou même de tôle, et puis c'est tout. Le linge se lave dehors, dans de grands bassins de pierre, les légumes poussent dans les jardins et le reste s'achète aux autres villageois. Point de commerces en vue. L'électricité est probablement en option. Quelques têtes blanches nous observent, des échines courbées dans les robes fleuries et sombres. Les jeunes ont disparu. Je pense à eux, au choc en arrivant à Porto ou à Lisbonne. Quel décalage. Cette vision me déroute, me chamboule un peu. J'ai l'impression de rentrer dans l'intimité du pays et ça me touche. A mesure que nous descendons, l'atmosphère se réchauffe et les villes s'animent. Guimarães est une cité médiévale sensiblement plus touristique. Nous prenons plaisir à grimper ses petites rues moyenâgeuses où fleurissent les commerces de souvenirs et les pâtisseries. Nous goûtons quelques uns des desserts locaux, très sucrés. Dominant la ville, la Serra Penha est à faire absolument! Ce petit mont, accessible en téléphérique ou en voiture, est tapissé de bois enchantés. Pour la première fois, nous louons le climat frais et nuageux : nous sommes complètement seuls et la forêt humide et moussue est voilée d'une brume épaisse. D'énormes rochers parfaitement ronds se dessinent, vestiges d'un terrain de pétanque géant se dit-on. Devant ce décor féerique, mille légendes inventées germent dans nos esprits. Nous progressons entre les roches, parfois sous elles, parfois dessus, débouchant de temps à autre sur une grotte ou une source surmontée d'une petite vierge aux couleurs fanées. On se prend à rêver d'un voyage dans le temps et de processions encapuchonnées tant l'endroit semble propice aux machinations les plus folles. En route pour Porto, nous faisons un détour par Amarante et son joli pont. Il y fait si calme. Nous en avons assez des villes endormies et reprenons la route sans tarder. Heureusement la "capitale du Nord" n'est plus loin! Nous l'avons surtout connue de nuit, enrhumés et sous la pluie. Nous découvrons une Porto ensoleillée et... plutôt hype! Les jolies terrasses de cafés branchés succèdent aux magasins au design étudié. Les restaurants affichent des cartes slow food, bio, locales... sans réservation il est difficile d'y dégoter une place. Nous finissons tout de même par obtenir la nôtre (après 10 minutes de file) dans un joli établissement au centre duquel trône un grand olivier (un vrai). On mange très bien à la Piada, et les glaces sont un délice! En matière d'auberges de jeunesse, on a l'embarras du choix! Elles sont souvent très jolies, pas chères, et proposent des chambres privatives. Nous logeons au Invictus Hostel, dans une chambre double pour une cinquantaine d'euros, idéalement situé et très agréable. La journée nous flânons sur les quais qui font face à la ville. On regarde les bateaux glisser sur le Douro, on admire le pont et on déguste un vieux porto blanc avec un arrière goût de noisette. Nous avons de la chance : le soir suivant, la ville accueille un festival de musique gratuit. Toute la cité est en fête, et nous discutons gaiement avec de jeunes portoricains qui nous disent l'amour de leur pays, malgré la crise. Il y a des concerts partout et les plus fêtards finissent la soirée dans l'une des boîtes underground de la ville. Après des mois de labeur et de vie citadine, une envie nous tient au corps : voir la mer et sentir les grains de sable rouler sous nos pieds. Direction Aveiro, la Venise du Portugal, à une heure de Porto. L'air s'est agréablement réchauffé et nous passons l'après-midi sur la plage. Le soir, nous profitons des jolies ruelles blanches habillées de filets de pêche et d'œuvres colorées. Le soleil se couche et les canaux se teintent de rose. Nous picorons des petits morceaux de cochon de lait rôti (leitao). Je n'ai jamais rien goûté d'aussi fondant! Ma compassion pour les petites bêtes s'arrête ou commence l'extase de mes papilles... Repus de plage, de chaleur et de vie civilisée, nous reprenons la route de régions plus isolées. La Serra da Estrela abrite le plus haut sommet du Portugal (continental). Nous découvrons avec surprise des villages très similaires aux stations de ski françaises, où se multiplient les échoppes de fromages locaux et de peaux de bêtes. Nous avons la chance d'assister à une procession religieuse. Tout le village (quelques centaines de personnes au plus) se coule dans les rues à mesure que la procession passe devant les portes de chacun. L'après-midi, le cochon tourne sur sa broche alors que les musiciens entament quelques airs sous la grande tonnelle. Nous campons dans la fôret, au bord d'une "praia fluvial". Le froid de l'eau me saisit, impossible d'y plonger d'avantage qu'une main. Je me dépêche de laver nos assiettes. ![]() A l'office du tourisme de Seia, on nous conseille une promenade dont on n'est finalement pas très sûrs d'avoir un jour suivi le tracé. Tout ce que je sais, c'est qu'elle débute à la Praia Fluvial de Lapa dos Dinheiros. Remontant le lit d'une rivière, nous sommes contraints à l'escalade (et pas évidente) et nous aidons de bâtons de bergers trouvés en chemin pour savoir où poser les pieds dans les zones herbeuses qui parsèment trompeusement le cours d'eau. C'est absolument magnifique, je rêve de ma ferme posée au milieu des chèvres et des poules. Nous terminons par un petit plongeon au milieu d'une superbe praia fluvial dont je n'ai pas retenu le nom. Enfin, moi, je suis rentrée jusqu'à la taille... Nous démarrons notre excursion du lendemain au Lagoa Comprida ("lac comprimé", comprenez "barrage") Marques da Silva. Les paysages sont davantage marqués par l'altitude et les vents, plus clairsemés et rocailleux. La journée s'achève dans un petit village tout proche : Sabugeiro. Nous arrivons tard dans l'après-midi, les cloches des chèvres tintent au loin alors que nous grimpons les ruelles pavées dans un silence serein. De vieilles dames, ravies d'entendre que nous balbutions deux-trois mots en portugais, nous invitent à contempler la vue sur les montagnes depuis leur jardin avant de nous indiquer l'unique "restaurant" du village. Bastien gardera un souvenir ému des énormes saucisses (plus proches du boudin chaud) servies ce soir-là. Nous avons l'impression d'être au bout du monde. Heureux, légers, emplis de tous ces paysages et de la simplicité pleine de grâce de ceux qui peuplent ces montagnes, nous reprenons la route de la côte. Nous passons par Coïmbre, cette jolie cité aux ruelles étroites et dangereusement escarpées, connue pour son université. Après une nuit à Figueira da Foz (à part la plage, rien de remarquable) nous filons vers Nazaré. Ce n'est pas le "petit village de pêcheurs" promis par les sites web que j'ai visités. Peut-être aurions-nous dû venir en haute saison... en tous les cas, c'est sympa mais pas transcendant. Sao Martinho do Porto (un peu plus bas) est plus petit, mais j'en garde un meilleur souvenir. A partir de Nazaré, nous longeons la côte à la recherche des plus belles plages. Nous dénichons des petits coins de paradis au pieds de falaises. Il n'y a que nous. Nous arrivons finalement à Péniche, "le" village du surf. Là aussi, internet m'a vendu du rêve (à moins que nous ne soyons à la mauvaise saison). La visite du quartier de pêcheurs est vraiment charmante mais le tour de la ville est vite fait. La vue sur les rochers sculptés par la mer, en revanche, vaut franchement le détour. Pendant ce temps, la mutation à commencé : les derniers résidus de stress nous ont complètement abandonnés, nous n'avons plus la notion des heures ni même vraiment des jours, aucune déconvenue ne saurait venir à bout de notre sérénité. Mais ce n'est pas tout : nos cheveux se décolorent, notre peau se tanne, nos vêtements s'allègent... on a le look "surfy" mais on n'a pas touché à une planche! Il faut remédier à ça... ![]() Petit arrêt très sympa à Praia de... Santa Cruz (ça ne rigole pas!). Je recommande le sympathique "Bronzear", petit bar (branché) de la plage. Arrivée dans la vibrante Ericeira, réputée pour le surf. Elle aussi, on la connait bien. Mais il semble qu'elle soit devenue terriblement courue! Bien que nous soyons hors-saison et que les autres villes de la côte soient désertées, Ericeira grouille de touristes venus d'un peu partout (contrairement à ce que donnent à penser mes photos), même et surtout des Etats-Unis. Ca reste tout à fait respirable (et c'est un must pour ceux qui ne connaissent pas ce joli endroit!) mais les locaux sont parfois condescendants vis à vis des voyageurs les moins "tape à l'œil" (c'est pourtant une attitude très peu portugaise). Nous profitons de notre passage pour faire quelques boutiques de surf (où se vendent des marques bien connues comme bilabong, roxy, O'neil, ripcurl...) et savourons d'exquises crevettes tigrées. Quant au surf : un loueur de planche nous convainc de laisser tomber l'idée. Fin septembre, à cet endroit de la côte, les courants sont déjà trop forts pour des surfeurs inexpérimentés et non accompagnés. Vient le temps des retrouvailles. La journée passée à Lisbonne est un délice pour nous deux. Dès les premiers pas sur l'Avenida da Liberdade, si large et pourtant si calme, on se sent bien. On se dit que nous n'avions pas magnifié nos souvenirs et notre désir d'habiter la ville est encore plus fort. Des cyclistes font la course le long des rames de l'Elevador da Gloria, immobilisé pour l'occasion. Nous parcourons sans hâte les ruelles pleines de charme de l'Alfama jusqu'au Castelo avant de grimper dans le train côtier qui nous emmène jusqu'à Belem. Les touristes font une file interminable devant la Fábrica dos pastéis de Belém pour goûter aux fameuses pâtisseries. L'air est délicieux sur la digue. Le soir venu, nous essayons de retrouver les bars de nos toutes premières soirées dans le dédale du Bairro Alto. Nous oublions un instant à quel point les Mojito y sont traîtres (incroyablement corsés pour le prix)... ... et c'est un peu vaseux que, le lendemain matin, nous prenons la route de Sintra, lieu d'une bien étrange bataille : celle de la noblesse portugaise et étrangère, luttant pour la gloire et le prestige. En témoigne la dizaine de palais extravagants entourés de jardins imaginés par les esprits les plus fantaisistes. L'histoire qui entoure ces incroyables demeures est souvent fascinante. Leurs architectes (renommés) étaient si investis qu'ils pouvaient aller jusqu'à dessiner chaque poignée de porte d'un palais. Nous terminons notre périple par une autre valeur sûre dont nous nous rappelons encore avec précision les plages idylliques couchées aux pieds de rochers luxuriants : le Parque Natural da Arrabida. De Sesimbra, nous remontons jusqu'à Setubal où nous profitons d'une agréable terrasse. ![]() Un bateau nous emmène, pour deux euros, jusqu'aux plages de sable blanc de Troia. Et c'est après une belle journée au bord de ces eaux turquoises que nous prenons le chemin du retour...
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L'amour du voyage semble, aujourd'hui, être une évidence pour presque tout le monde. Mais il existe autant de façons de voyager que de voyageurs. Je partage ma vision du voyage et des pays que je visite avec vous.
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